Les portes des forces armées sénégalaises ont été ouvertes aux femmes en 1984. Depuis lors, la gente féminine a fait des pas importants, jusqu’au grade de général, avec la nomination à ce titre du médecin-colonel Fatou Fall intervenue en avril 2023. Mais jusqu’ici, il y a une frange importante des femmes qui reste exclue de l’armée : les voilées. Le constat m’a été offert lors d’une cérémonie quelque part à Dakar. Les élèves de l’école militaire de santé étaient invités ce jour-là, ils étaient très beaux dans leur tenue.
Parmi eux des femmes, mais aucune n’avait le voile. Ce qui m’a paru curieux, puisqu’au Sénégal, le voile est partout dans les écoles, dans l’administration, les entreprises, les marchés… Difficile de voir trois femmes sans que l’une d’elles ne porte le voile. Comment expliquer donc cette absence de fille voilée parmi les dames de cet établissement logé à l’Ucad ? La réponse est venue d’une discussion avec une étudiante en pharmacie. Elle a voulu faire santé militaire, mais on lui a fait comprendre que les filles voilées n’ont pas leur place dans l’armée. Étant donné qu’elle tient à son foulard, elle a renoncé à son rêve pour aller s’inscrire en pharmacie.
Le retour de la question de l’interdiction du voile dans les écoles privées catholiques, suite à une sortie dans ce sens du Premier ministre Ousmane Sonko, offre ainsi une occasion de regarder aussi du côté de l’armée. Pourquoi les forces armées devraient bannir les femmes voilées, en quoi ça peut gêner ? Certains ne manqueront pas de se précipiter pour invoquer la laïcité. Pour eux, l’armée doit rester le dernier bastion de la laïcité.
Face à une telle réponse, le Sénégal aura besoin de définir ce qu’est SA laïcité. Est-ce le rejet de toutes les religions comme ça se fait en Occident, la France en particulier ou alors l’intégration de toutes les religions comme ça se fait déjà si bien au Sénégal ? Pourquoi devrait-on, dans un pays à plus de 90% de musulmans, interdire le voile qui est une recommandation de l’islam ?
Certains vont encore se précipiter sur des questions théologiques pour vous dire que l’Islam ne recommande pas le voile. Comme vous voulez ! Mais reconnaissons au moins que celles qui portent le voile sont persuadées autant que vous, sinon plus, que le voile est une recommandation divine. Pourquoi alors faire obstacle à la conviction religieuse de ces milliers de femmes ?
Le moment est peut-être venu de franchir le pas. La Turquie l’a déjà fait en 2007. Ankara avait juste fixé des règles, à savoir que le foulard devait être de la même couleur que la tenue avec absence de motif et de « manière à ne pas recouvrir le visage ». Le Sénégal pourra aussi déterminer ses critères en fonction des réalités socioculturelles.
Si des pays occidentaux comme le Canada admettent des femmes voilées dans la police, le Sénégal ne devrait pas faire moins au sein de ses forces armées. Après tout, c’est une question de justice et de respect des convictions religieuses. Certes l’armée doit rester un sanctuaire (on est bien d’accord), mais un sanctuaire qui reflète le Sénégal dans toute sa diversité.
Il fut un temps où il était impensable de prier à l’école ou au bureau, à plus forte raison construire une mosquée dans un lycée ou à l’université. C’est désormais acquis sans que cela ne pose problème.
Dans ce contexte de polémique sur Thiaroye 44, il est bon de rappeler que beaucoup de nos pratiques relèvent d’un héritage colonial. La souveraineté passe aussi par ce travail mémoriel qui nous permet de nous départir de tous ces vestiges coloniaux.