[Éditorial] Pirogues pleines, rêves vides : le défi de Faye (par Adama Ndiaye)

Le 24 mars 2025 marque le premier anniversaire de l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal, un scrutin qui avait porté au pouvoir un homme incarnant la rupture avec l’ère Macky Sall. Durant cette première année, le président Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko ont fait de la remise en question des pratiques du passé une priorité. Leur engagement s’est notamment traduit par la commande d’un rapport d’audit accablant, publié en février par la Cour des comptes. Ce document a révélé des chiffres saisissants : une dette publique flirtant avec les 100 % du PIB en 2023 – contre les 65,6 % officiellement déclarés sous l’ancien régime – et un déficit budgétaire de 12,3 % du PIB, loin des 4,9 % avancés précédemment. Ces faux comptes ont servi de socle à une vaste entreprise de reddition des comptes, visant à punir les anciens dirigeants pour leurs fautes de gouvernance.

Si ce droit d’inventaire est nécessaire pour assainir les fondations de l’État, il semble avoir monopolisé l’énergie du nouveau pouvoir. Faye et Sonko ont excellé dans le diagnostic du passé, mais où est le discours porteur d’espoir et d’optimisme qui devait galvaniser une nation, et en particulier sa jeunesse, leur principal électorat ? 

Car, pendant que les enquêtes se multiplient et que les révélations donnent le tournis, des images restent gravées dans les mémoires : des centaines de jeunes qui prennent d’assaut les Bureaux d’accueil, d’orientation et de suivi (BAOS) dans l’espoir d’aller effectuer des travaux saisonniers en Espagne ; d’autres entassés sur des pirogues de fortune, bravant les flots déchaînés de l’Atlantique pour rallier les Canaries. Il y a une semaine encore, 400 d’entre eux ont tenté cette traversée clandestine, un chiffre qui résonne comme un cri de désespoir. Ce phénomène, bien qu’hérité de décennies de politiques désastreuses, sonne aujourd’hui comme un échec pour un gouvernement qui avait promis de changer la donne.

Dur reste, le malaise ne touche pas que la jeunesse. La sinistrose et l’anxiété ont gagné de nombreuses couches et catégories socioprofessionnelles, notamment dans le secteur du bâtiment, où les chantiers ralentissent et les perspectives s’assombrissent. Un sentiment diffus s’installe : celui que les choses iront de mal en pis. Un murmure de résignation emplit les demeures, les grand-place et les transports en commun  : « deuk bi dafa metti, dara dokhoul » (c’est la crise, tout est à l’arrêt). Ce pessimisme ambiant, qui règne comme une brume épaisse sur le pays, ne trouve aucune réponse du côté des gouvernants, qui semblent incapables d’enrayer cette spirale négative. 

L’espoir, comme l’écrivait Georges Bernanos, est « une arme héroïque », un moteur essentiel pour mobiliser les âmes et les énergies. Sans cette flamme, la foi en l’avenir s’éteint, et les jeunes, livrés à eux-mêmes, préfèrent risquer leur vie en mer plutôt que de croire en leur pays. 

L’écrivain  Felwine Sarr, dans Habiter le monde, ne dit pas autre chose lorsqu’il appelle à « réinventer un horizon commun » pour une jeunesse africaine – et une société entière – en quête de sens et de perspectives. Or, en se concentrant sur les dérives du passé, le pouvoir semble avoir négligé cette urgence : donner des raisons concrètes de rester, de construire, de rêver au Sénégal.

Il est temps pour Bassirou Diomaye Faye de changer de cap. La reddition des comptes doit se poursuivre, mais elle ne peut plus être l’alpha et l’oméga de son mandat. Le véritable défi réside dans une politique concrète de redressement : investir massivement dans l’emploi, lutter contre le chômage endémique qui pousse les jeunes à l’exil, relancer des secteurs clés comme le bâtiment pour redonner confiance à tous. À défaut, le bilan de cette première année risque de se résumer à une autopsie du passé, sans jamais esquisser les contours d’un avenir meilleur.

Le 24 mars doit être l’occasion d’un sursaut, d’un discours qui ne se contente plus de dénoncer, mais qui ose proposer et inspirer.

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